Stéréotypes de genre dans la mode : comment les déconstruire ?

Un chiffre, brut, sans fard : en 2019, la Commission européenne sur l’égalité entre les sexes pointe plus de 300 campagnes publicitaires vestimentaires recourant à des codes genrés étroits. Pourtant, la législation française a mis fin à une règle du XIXe siècle en autorisant, depuis 2013, le port du pantalon pour les femmes. Les grandes griffes qui, des décennies durant, ont tracé une frontière nette entre habits masculins et féminins, prennent aujourd’hui le virage du non-genré.

Du côté de la société, citoyens et professionnels multiplient les initiatives pour faire bouger durablement les mentalités, les habitudes d’achat et les repères culturels du secteur. Plusieurs leviers concrets alimentent déjà cette dynamique en profondeur.

Pourquoi les stéréotypes de genre persistent dans la mode

Les stéréotypes de genre dans la mode ne surgissent pas par hasard. Ils se construisent patiemment, transmis dès la naissance et consolidés par chaque étape de la famille, de l’éducation et des médias. Le genre, loin d’être une donnée naturelle, s’impose comme une construction sociale, différente du sexe biologique. Dès le plus jeune âge, un ensemble de codes balise le parcours : couleurs, coupes, matières, jusqu’aux dessins sur les pyjamas. Cette séparation « pour filles » et « pour garçons » s’affiche partout : dans les magasins, la publicité, les propos des proches.

Voici comment ces repères s’installent et se perpétuent :

  • Les normes culturelles et les valeurs traditionnelles dessinent les rôles sociaux : à chacun une place, une attitude, un vêtement spécifique.
  • Les stéréotypes s’incarnent aussi dans les stratégies commerciales et la production d’images : mannequins, influenceuses et influenceurs, magazines, clips, réseaux sociaux.

Le stéréotype de genre oriente ainsi les choix vestimentaires, restreint la liberté de chacun, bride l’expérimentation. Les effets sont concrets : femmes moins visibles dans certaines filières, hommes poussés à jouer la virilité à tout prix, inégalités et discriminations qui s’en trouvent renforcées. La mode, fidèle reflet de la société, amplifie ce phénomène. Le vêtement, loin d’être anodin, devient un instrument de démarcation, parfois d’exclusion.Remettre en cause ces stéréotypes suppose un effort collectif. Les actions éducatives, les campagnes d’information, la diversité des représentations médiatiques bousculent les lignes. Mais tant que la société continuera à ériger le genre en frontière, la mode prolongera ces idées reçues, au risque d’étouffer l’audace derrière la conformité.

Comment reconnaître les codes vestimentaires genrés au quotidien ?

Le regard s’habitue vite à la partition silencieuse des garde-robes. Pourtant, au quotidien, face au choix des vêtements, la séparation s’impose : robes, jupes, teintes douces pour les unes ; pantalons, chemises, motifs discrets pour les autres. Rien de spontané là-dedans. Les codes vestimentaires genrés structurent l’espace public autant que les sphères privées et scolaires. Ils dessinent des limites invisibles, héritées de la tradition plus que dictées par le besoin.Dans les rayons pour enfants, le rose et le bleu se font face comme deux camps opposés. Les vêtements pour filles s’ornent de paillettes, de licornes, de cœurs. Les vêtements pour garçons affichent super-héros, camouflages, voitures ou logos sportifs. À l’adolescence, la pression monte : jean moulant ou haut court pour certaines, sweat ample ou jogging pour d’autres. Adulte, le clivage perdure : tailleur ou jupe-crayon d’un côté, costume sombre de l’autre. Porter un vêtement, c’est prendre position, parfois s’imposer une contrainte.Décrypter ces codes, c’est porter attention à qui porte quoi, dans quel contexte, et aux réactions suscitées. C’est aussi questionner le regard collectif, la gêne face à l’enfant qui sort du cadre, l’inconfort devant l’adulte qui brouille la frontière. Les initiatives no gender ou gender neutral progressent, mais le terrain reste étroit : seuls 13 % des jeunes affirment ne pas se reconnaître dans les cases « homme » ou « femme ». La résistance, bien que réelle, avance prudemment face à un héritage robuste.

Quelques repères permettent d’identifier ces codes au quotidien :

  • Certains tissus (dentelle, velours, denim) restent associés à un genre plutôt qu’à l’autre.
  • Les accessoires varient : sac à main d’un côté, serviette ou sacoche de l’autre.
  • Les normes concernant la longueur, le décolleté, l’ampleur du vêtement : chaque détail est balisé.

Déjouer ces codes commence par leur observation attentive. Les rendre visibles, c’est déjà fissurer la façade.

Des conseils concrets pour adopter une garde-robe plus inclusive

Réinterroger les stéréotypes dans la mode, c’est d’abord prendre conscience de ses propres habitudes. Repérez les catégories, testez leurs limites. Une garde-robe ne devrait jamais enfermer, mais ouvrir des horizons. Testez la mixité vestimentaire : associez une chemise ample à une jupe, tentez un tailleur fluide, adoptez des baskets universelles. Certains modèles n’ont pas attendu l’époque moderne pour bouleverser les codes : Louis XIV arborait talons et dentelles, Jane Birkin ou Tilda Swinton ont puisé dans le vestiaire masculin, David Bowie a joué de l’ambiguïté avec panache.

Pour enrichir votre démarche, plusieurs pistes méritent d’être explorées :

  • Essayez les collections gender neutral de griffes comme Balenciaga ou Gucci.
  • Misez sur des coupes, couleurs et matières qui ne collent à aucune étiquette : lin, maille, denim, unis ou imprimés graphiques.
  • Composez sans contrainte : superposez les pièces, détournez les accessoires, mélangez librement ce qui est traditionnellement « féminin » ou « masculin ».

Le changement s’opère lentement, car le poids des stéréotypes de genre reste pesant. Opter pour une garde-robe inclusive, c’est aussi valoriser celles et ceux qui proposent des défilés mixtes : Agnès B, Vivienne Westwood, Afterhomework, pour n’en citer que quelques-uns. Encourager la diversité, c’est aussi reconnaître celles et ceux qui s’affranchissent des codes, qu’ils soient figures connues ou anonymes. Plus la diversité s’invite dans les médias et sur les réseaux, plus de nouveaux modèles émergent. Choisir en conscience, c’est soutenir cette ouverture de la mode à celles et ceux qui refusent la prescription.

Groupe d

Ressources, initiatives et campagnes qui font bouger les lignes

Déconstruire les stéréotypes de genre dans la mode ne dépend pas uniquement des choix individuels : l’élan collectif, les engagements institutionnels et des alliances parfois inattendues jouent un rôle déterminant. Dans certaines écoles, des ateliers menés à l’école Painlevé ou lors des Rencontres Audiovisuelles apprennent aux élèves à décrypter les images et les discours : les enfants y acquièrent des outils pour identifier les codes imposés, nommer les frontières, interroger ce qui semble évident.

Du côté des politiques publiques, la ville de Lille se distingue avec son projet éducatif global : sensibilisation à l’égalité femmes-hommes, mixité dans les activités sportives, discussions sur l’apparence et les attentes sociales. Des associations comme SOLFA interviennent aussi pour aborder consentement et lutte contre les violences sexistes, en complément du travail mené à l’école et en famille.

Les campagnes numériques déploient leur force de frappe : le Centre Hubertine Auclert orchestre la campagne #OnEnParle via vidéos, témoignages, interventions de médias engagés comme Rose Carpet ou madmoiZelle. Ce dispositif éclaire les ressorts de la transmission des stéréotypes et invite à aiguiser sa vigilance, aussi bien sur les réseaux sociaux que dans les pages des magazines. L’égalité femmes-hommes se forge aussi dans les représentations, la liberté de parole, la valorisation de figures qui bousculent les rôles traditionnels.

Petit à petit, les lignes se déplacent. La mode, miroir de nos sociétés, peut-elle devenir le terrain d’une liberté retrouvée ? L’avenir appartient à celles et ceux qui osent revisiter le vestiaire, bousculer les codes et, pourquoi pas, réinventer la scène de demain.